La cérémonie de présentation de l’ouvrage biographique s’est tenue le 8 mai 2024 à la Librairie des Peuples Noirs, sous la modération du professeur Efoua Mbozo’o. Entre les murs chargés d’histoire, les mots ont tracé le sillage d’une existence marquée par la dualité et l’engagement, celle d’un homme à la croisée des chemins du passé et du présent.
À la fois gardien des traditions et figure politique du Cameroun moderne, le dix-neuvième sultan incarnait le paradoxe avec une aisance rare. Prince d’un royaume ancestral et militant fidèle du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), il savait conjuguer ces univers sans jamais se laisser enfermer. Paul Biya, dans une lettre empreinte de respect et de proximité, saluait ce « militant loyal », cet homme de compromis et de constance. Artisan de la métamorphose de l’Union nationale camerounaise (UNC) en RDPC, il en devint une figure incontournable, prêt à défendre sa bannière avec ferveur, se présentant lui-même en 1996 et soutenant, sans relâche, les siens.
Mais au-delà des couleurs partisanes, Ibrahim Mbombo Njoya s’imposait comme un souverain au-dessus des querelles politiques. Sous son règne, le palais royal de Foumban devint le sanctuaire d’un dialogue dépassant les clivages, où même les figures de l’opposition déposaient, le temps d’une visite, leurs armes rhétoriques. Si d’autres barons du régime étaient la cible de critiques acerbes, lui échappait à ces flèches, porté par le prestige de sa dynastie et la réhabilitation du Nguon, cette fête ancestrale qui tissait un lien indéfectible entre son peuple et sa mémoire.
Son ascension fut une longue leçon d’histoire et de stratégie, façonnée par les épreuves traversées par sa lignée. Son père, Seidou Njimoluh Njoya, avait dû préserver la couronne dans la tourmente coloniale, héritant d’un trône menacé après la disgrâce de son propre géniteur, le roi Njoya. Face à une administration française hostile, la diplomatie devint une arme de survie, et Ibrahim Mbombo Njoya en fit une philosophie.
Né en 1937, il grandit dans cet équilibre fragile entre tradition et modernité, partagé entre les rites de Foumban et les bancs des écoles de Yaoundé, Paris et Dakar. Très tôt, il apprit l’art des passerelles, tissant des liens entre l’héritage de ses ancêtres et l’empreinte laissée par les colons allemands et français. Sa curiosité le poussa à interroger les dialogues complexes entre l’islam, enraciné chez son peuple depuis le XIXe siècle, et le christianisme, arrivé en 1902. Dans cette mosaïque de cultures et de croyances, il devint l’homme des équilibres, préférant la conciliation aux ruptures.
C’est ainsi qu’il entra, en 1958, au cabinet du haut-commissaire français, affrontant avec pragmatisme ceux qui, quelques décennies plus tôt, avaient exilé son illustre grand-père. Il y voyait un double impératif : sauvegarder l’essence de la dynastie tout en inscrivant son nom dans l’édifice du Cameroun moderne. Il redonna vie au Nguon, interdit en 1924 par l’administration coloniale, en systématisant sa célébration et en œuvrant pour son inscription au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Il façonna également un musée à l’image du serpent à deux têtes, symbole royal et miroir de sa propre dualité, prêt à ouvrir ses portes à l’histoire.
Homme d’État accompli, il gravit les plus hautes marches du pouvoir sans jamais renier sa liberté de ton. Proche de Paul Biya, il sut néanmoins incarner, aux yeux de beaucoup, l’idée d’une alternance possible, comme un message adressé à sa génération. À travers lui, c’était tout un art de gouverner et de concilier qui se perpétuait, entre fidélité et émancipation, entre enracinement et renouveau.