La cérémonie de présentation de l’ouvrage biographique de 172 pages a eu lieu à la Librairie des peuples noirs le 8 mai 2024 sous la modération du Professeur Efoua Mbozo’o.
À la fois gardien des traditions et figure politique du Cameroun moderne, Le dix-neuvième sultan était une personnalité paradoxale qui, mieux que quiconque, savait gérer ses contradictions. Il était, en effet, un « militant fidèle et loyal » du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, parti au pouvoir), comme l’a indiqué le président Paul Biya dans une lettre de condoléances où transparaissaient sa proximité et sa singulière considération pour le défunt monarque. Comptant parmi les artisans de la transformation de l’Union nationale camerounaise (UNC, parti unique sous Ahmadou Ahidjo) en RDPC, il en était devenu une des figures majeures, siégeant dans ses plus hautes instances, allant à la castagne pour son parti, n’hésitant pas à se présenter sous sa bannière en 1996 ou à en soutenir les candidats lors de consultations locales. Désigné sénateur, le patron politique de cette formation dans la région de l’Ouest avait conservé l’ardeur du militant. Sous son règne, le palais des rois bamouns à Foumban était devenu un passage obligé pour les figures de l’opposition qui, le temps d’une visite, observaient une trêve des batailles politiciennes. Avec cette empreinte indélébile dans l’opinion, Ibrahim Mbombo Njoya échappait ainsi à la trombe de critiques qui s’abattait sur les autres barons du régime et aux portraits au vitriol qu’on faisait de ces éminences grises. Aidé par le prestige de la dynastie royale de ses pères, l’épopée du roi Njoya et la forte notoriété de la fête du Nguon qu’il avait réhabilitée, il avait acquis une remarquable popularité en adoptant des positions à contre-courant de ses camarades de parti. Aux prises avec une figure de l’opposition et président de l’Union démocratique du Cameroun (UDC), Adamou Ndam Njoya lors de l’élection municipale choc de 1996 – très largement remportée par ce dernier –, Ibrahim Mbombo Njoya conservait une audience de poids dans le département du Noun. Une aura entretenue par des populations qui distinguaient le Mfon (« roi » dans la langue locale) du baron du RDPC.
Cet art de la composition, des compromis et du slalom peut s’expliquer par les leçons qu’il avait retenues de l’histoire et les ponctuations de sa longue carrière administrative, diplomatique, gouvernementale et politique. Son père, Seidou Njimoluh Njoya, avait hérité, quatre ans avant sa naissance, du trône de l’une des dynasties traditionnelles les plus anciennes du Cameroun dans un contexte de crises et tensions. Le règne de son propre géniteur, le roi Njoya, réputé pour ses inventions et ses innovations, avait été marqué par la vive hostilité de l’administration française. Il fallut donc à Njimoluh un sens politique à toute épreuve et des talents de diplomate pour sauver cette lignée royale du bannissement.
C’est dans cet esprit qu’évolua le jeune Ibrahim Mbombo Njoya, né en 1937. À son initiation aux us et coutumes, à l’art et aux secrets de cour en terre bamoun s’ajouta un cursus à l’occidentale, entre Foumban et Yaoundé, puis à Paris et à Dakar. Il apprit à établir des ponts entre deux mondes, celui de l’héritage ancestral de ses pères et celui, introduit depuis l’entrée des Allemands à Foumban (en 1902) par la présence coloniale, notamment celle des Français, qui administraient le territoire. Sa curiosité le porta aussi à observer les rapports entre l’islam et les traditions africaines. Ou encore la cohabitation entre cette religion, adoptée par une partie de son peuple à la fin du XIXe siècle, et le christianisme, introduit en pays bamoun en 1902. Le fil d’ariane de la conciliation, du dialogue et des croisements entre univers, mondes et logiques pluriels guida sa trajectoire. Il en donna les premiers signes en rejoignant le cabinet du haut-commissaire français en 1958. Il fit ainsi face à ceux qui avaient déporté son illustre grand-père trois décennies auparavant avec un sens de l’ouverture et une démarche stratégique inspirés de son père Njimoluh. L’ambition était double : d’une part, préserver la dynastie et certaines traditions tout en s’adaptant aux évolutions de son époque et, d’autre part, faire partie des sphères d’influence et de décision du Cameroun moderne. Côté traditions, il procéda à la remise en selle du Nguon, une cérémonie traditionnelle interdite en 1924 par l’administration française : il en systématisa l’organisation tous les deux ans, portant le dossier de son inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco. Il entreprit, aussi, la construction d’un musée figurant le serpent à deux têtes, symbole royal, qui n’attendait plus que son inauguration. Ibrahim Mbombo Njoya avait également gravi l’essentiel des échelons de la haute administration camerounaise, jusqu’à atteindre les places fortes du gouvernement, se forgeant une stature d’homme d’État. Conservant aussi bien une liberté de ton que l’amitié de Paul Biya, ce baron du RDPC avait par ailleurs réussi à apparaître comme un militant de l’alternance. Comme une invitation adressée à ceux de sa génération à passer la main…