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Le Camfranglais, miroir sonore du Cameroun

Le Camfranglais représente l’une des expressions les plus singulières de l’identité camerounaise. Langue née sans décret, il s’impose dans le tumulte des villes comme un cri de reconnaissance et d’appartenance. Après l’équipe nationale et la présidence de la République, il incarne l’un des symboles les plus fédérateurs du pays. C’est un orage verbal, un flux sonore qui gronde dans les taxis, éclate dans les cours de récréation, serpente dans les chansons et s’invite dans les débats de quartier. Il est rapide, nerveux et indocile. Le Camfranglais ne demande pas à être corrigé, il réclame qu’on l’écoute.

Dans sa spontanéité, il renverse les dogmes linguistiques. Il ne s’excuse pas d’exister, il réécrit les règles du respect grammatical. Ici, l’usage supplante la norme. Certains le perçoivent comme un parler rebelle, propre à la jeunesse et à l’impertinence, tandis que d’autres y voient une menace pour les langues dites correctes. Absent des écoles et des discours officiels, le Camfranglais vit dans l’ombre institutionnelle. Pourtant, il ne détruit rien : il crée. Il ouvre un espace neuf où se disent la rue, la sincérité et la débrouillardise.

Langue urbaine, tonique et inventive, le Camfranglais mêle français, anglais, pidgin et idiomes locaux. Il naît du mouvement et se nourrit du quotidien. Pour l’oreille adulte, il sonne comme un désordre, mais il est avant tout un rythme, une pulsation populaire. Les aînés le jugent trop libre, trop jeune, trop audacieux ; ils oublient qu’il est le reflet d’une génération qui court là où eux préféraient marcher. Le Cameroun a tort de le mépriser. L’entendre ne suffit pas : il faut l’accueillir.

Parler le Camfranglais, c’est affirmer sa Camerounité. C’est dire le pays tel qu’il se vit, avec ses contrastes et ses improvisations. Il n’est pas une faute de français, mais une réussite nationale. Là où les langues coloniales divisent, lui rassemble. C’est une langue sans passeport qui traduit le Cameroun à lui-même. Le parler n’efface pas les autres idiomes : il les relie. Il trace un rond-point où se croisent toutes les langues du territoire, dans un ballet où l’usage prime sur le protocole.

La légitimité d’une nation se mesure aussi à sa capacité à s’écouter. Le Cameroun, bâti sur deux langues coloniales, continue de chercher son reflet dans ses institutions, alors qu’il se trouve dans la rue, dans cette parole métisse qui jaillit du quotidien. Le Camfranglais est un miroir tendu à la République. Elle s’y découvre sans filtre ni ornement, dans sa vérité nue. Refuser cette langue, c’est nier le génie populaire ; l’entendre, l’enseigner et la valoriser, c’est bâtir une politique linguistique de paix.

Une nation ne tient pas seulement par ses lois : elle se construit aussi dans les mots qu’elle ose adopter. Les langues de la rue sont parfois celles qui fondent les patries. L’identité nationale ne s’écrit pas uniquement dans les constitutions, elle s’écoute dans le Camfranglais — cette invention collective, spontanée et fière, où le peuple se parle et se comprend.

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