Durant trois heures d’horloge, la conférence a captivé l’attention d’illustres personnalités, à l’instar d’Ebénézer Njoh-Mouelle, philosophe émerite et ancien ministre, du Pr Jean-Paul Mbia, conseiller technique No 1 au ministère de l’Enseignement supérieur, du Pr Félix Nicodème Bikoi, ancien vice-recteur, du Pr René Aristide Rodrigue Nzameyo, chef de département de Philosophie de l’ENS de Yaoundé et du Pr Alexi Bienvenu Belibi. L’initiative est du Pr Charles Romain Mbele, secrétaire exécutif du Club de Philosophie Kwame Nkrumah.
Selon la Pr Lina Alvarez Villarreal, la pensée décoloniale est la dénonciation et la déconstruction de la colonialité ou d’une décolonialité incomplète qui se manifeste par la persistance des hiérarchies raciales, sociales, culturelles, politiques, économiques, de genre. Elle remet en question l’eurocentrisme et recourt à des « savoirs pluriversels » qui, selon elle, « rendraient mieux compte de la diversité du monde et de l’hétérogénéité des connaissances». Dans cette veine, « si la colonialité terricide cherche à extirper, à supprimer le paysage des peuples, à effacer la mémoire historique des peuples pour, ainsi et comme le comprenait Fanon, briser leurs systèmes de référence et parvenir à leur domination, le marronnage [et nous dirions aussi la décolonialité] (comme pratique qui réactive l’histoire, la mémoire collective et territoriale pour résister et convertir les lieux d’oppression en lieux d’espoir, de liberté et de transformation) est sans aucun doute l’un des outils les plus sophistiqués et efficaces pour résister aux pratiques néocoloniales ». La Pr Lina Alvarez Villarreal a souligné que « le groupe Modernité/Colonialité-décolonialité est un groupe interdisciplinaire, formé par des philosophes, anthropologues, sociologues, pédagogues et sémiologues de différents pays de l’Amérique Latine ».
Elle a cité entre autres, Enrique Dussel, Anibal Quijano, Walter Mignolo, Maria Lugones, Catherine Walsh, Santiago Castro-Gomez, Arturo Escobar. En effet, c’est au début des années 2000 que ces spécialistes des sciences humaines et sociales se sont rassemblés pour esquisser le projet de la décolonialité qui a pour objectif de « faire une intervention décisive dans la discursivité elle-même des sciences modernes, afin de construire un espace-autre pour la production des connaissances – une façon de penser-autre, un paradigme-autre, la possibilité même de parler de « mondes et de connaissances-autres ». (Escobar 2007 : 179). Les figures emblématiques de l’école décolonial « se déclarent comme étant les héritiers de la théorie économique de la dépendance formulée par l’Argentin Raul Prebisch, de la théologie et la philosophie de la libération (Enrique Dussel) et de la recherche action-participative (O. Fals-Borda)». La pensée décoloniale s’appuie sur « la réalité culturelle et politique latino-américaine, y compris les « savoirs subalternes des groupes sociaux opprimés et exploités ». Ainsi, « les auteurs décoloniaux opèrent une « fracture épistémologique spatiale ». Cela veut dire qu’il s’agit d’une «épistémologie qui ancre le discours dans une géographie et une histoire concrètes, celle de l’Amérique Latine ». Le choix est ici fait de «penser à partir et avec ceux que Fanon appelait les « damnés de la terre » et Enrique Dussel « l’extériorité du système ». Cela signifie qu’une épistémologie décoloniale s’éloigne de toute prétention de neutralité, et se donne pour point de départ l’expérience des sujets, des territoires et des savoirs subalternisés à partir de la longue histoire coloniale. »
E.M