« Origine, évolution, changements sociaux et les tendances actuelles de la pratique de la polygamie chez les Ekang », tel est le thème de la conférence animée par un riche panel constitué de l’anthropologue Mathurin Mekoulou, du docteur Gérard Paul Onji’i Essono et de l’écrivaine Marie Abessolo, sous la modération de Nko’o Ngama Renaud.
La polygamie est omniprésente en pays Fang, tant sur le plan des pratiques que sur celui des représentations. Il n’est pas exagéré de dire que le modèle même du mariage est le foyer polygame, lequel représente moins un exploit qu’un comportement ordinaire pratiqué par certain(e)s avec plus de succès que d’autres. La polygamie en tant que mode d’organisation domestique est bâtie non pas sur la relation hétérosexuée entre les conjoints mais sur deux relations homosexuées : d’une part, entre les coépouses, et d’autre part, entre les hommes mariés et leurs dépendants non mariés (frères cadets et fils, mais aussi d’autres personnes qu’un homme accompli entretient chez lui grâce notamment à la main-d’œuvre que fournissent ses multiples épouses). Régis par des principes discordants, ces liens constitutifs de la polygamie sont chez les Fang foncièrement conflictuels et instables : bien qu’équivalentes en principe, les coépouses se distinguent en « belle-mère » (nki) et « brus » (mbom). La polygamie permet aussi à la femme de se reposer notamment après l’accouchement. Elle a donc la possibilité d’aller chez ses parents (e ke jañ en bulu), car la tradition interdit les relations avec une femme qui allaite et ce pendant deux à trois ans, sans que le mari ne reste célibataire. En plus la polygamie permet à la femme de travailler aisément car elle instaure une sorte d’entraide entre les femmes, la femme n’a donc pas l’obligeance d’avoir de vastes plantations sinon elle bénéficie du soutien de ses coépouses.
La polygamie permettait également à la femme d’avoir une place privilégiée au milieu de ses coépouses. En effet la plus grande fierté pour la femme était d’être la première femme d’un chef, d’un dignitaire etc… Chez les Beti par exemple, la première femme (Ekomba) avait un statut particulier. Elle était comme une mère pour les autres femmes qui lui rendaient toute sorte de services. Plusieurs femmes n’hésitaient pas à encourager leurs maris à prendre une énième femme. Au sein du groupe de femmes donc on avait des titres honorifiques tels que la première femme (ékomba), la femme la plus aimée (nkpwek).
La polygamie, bien que modèle de référence pour la vie maritale et schéma canonique de la segmentation lignagère, renferme donc un grand potentiel pour des renversements de situation, des expansions ou contractions rapides et des réorganisations radicales.
L’introduction des cultures de rente et l’économie monétaire vont contraindre les hommes à la pratique de la polygamie pour des besoins divers. En effet la polygamie permettait à l’homme d’accroître son potentiel économique non seulement à travers une descendance nombreuse mais aussi en main-d’œuvre. L’enfant dans la société Fang par exemple est considéré comme une richesse ou du moins comme un bien de valeur infinie. La femme quant à elle était un actant incontournable dans la vie économique. Elle s’occupait de la production, de la conservation des biens et de l’assurance des revenus. La polygamie était aussi une nécessité pour l’homme d’avoir une femme artiste, une femme porte-chance. Il y’avait en effet des femmes danseuses, chantefables, berceuses etc…, donc avoir une femme spécialiste était une fierté pour l’homme.
De nos jours, les multiples crises et les différentes thèses sur la démographie contraignent les gens à la pratique de la monogamie. La christianisation caractérisée d’appauvrissante d’abord et ensuite le modernisme ont changé le schéma traditionnel du mariage et ont contribué à l’effondrement de la société traditionnelle à travers notamment la perte des valeurs intrinsèques de la femme. Jadis la femme était considérée et respectée par son mari malgré les différentes contraintes liées à la tradition, aujourd’hui elle est un objet dont on dispose à sa guise. L’image de la femme s’altère, se dévalorise à cause de la mauvaise considération du mariage.