Malgré les promesses de nombreux pays occidentaux, la restitution des œuvres et objets africains exposés hors du continent traîne. D’où l’initiative du Collectif d’Afrique centrale pour la recherche et la restitution des collections issues de la colonisation d’organiser un colloque sur le thème : » Mémoires et restitutions : enjeux pour l’Afrique centrale ».
Les experts d’Allemagne et du Cameroun réunis autour de la question ont posé les jalons d’un processus efficace, légitime et rapide. Bien plus la responsabilité africaine devra être de mise, celle de veiller sur les pièces retournées en s’assurant de la mise en place des conditions structurelles garantissant leur sauvegarde. De construire et de rénover les structures muséales, d’assurer la formation des conservateurs, ainsi que se doter des capacités juridiques et logistiques pour faire circuler ces œuvres. La diplomatie, le réseautage et la dématérialisation se révèlent donc être les meilleures voies pour des accords éventuels entre les musées d’Occident et ceux du continent
La conservation de la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire. Et si la culture relie les hommes entre eux, elle impulse aussi le progrès. Voilà pourquoi l’Afrique accorde tant de soins et de prix au recouvrement de son patrimoine culturel, à la défense de sa personnalité et à l’éclosion de nouvelles branches de sa culture. Sans doute 2021 restera-t-elle la date d’une politique volontariste en la matière. On a coutume de ramener cette étape, cruciale, de la restitution de vingt-six statuettes au Benin, à un discours d’Emmanuel Macron, le 28 novembre 2017. Alors qu’ il vient d’être élu, c’est à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, ancienne colonie indépendante depuis le 5 août 1960, que le président de la République française déclare, devant un amphithéâtre bondé : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Ce timing-là sera donc respecté (au moins) pour les vingt-six objets dont le roi Béhanzin d’Abomey avait été spolié en 1892 par les troupes françaises.
Contrairement à ce qu’on affirme parfois, la cause de la restitution des œuvres volées durant la conquête coloniale ne date pas des années d’indépendance et du panafricanisme. En réalité, la temporalité du débat sur les restitutions est bien plus vaste. Si vaste, même, qu’on peut remonter au XIXe siècle pour retrouver les traces de condamnations de ces pillages. C’est-à-dire contemporaines-mêmes de la conquête. On dit déjà “spoliation” à l’époque : le mot figure dans certaines diatribes de Victor Hugo qui la dénonce, depuis son exil à Guernesey dans la foulée de ce qu’on appelle “la seconde guerre de l’opium”. Mais entre Victor Hugo, Michel Leiris, et l’activisme de Louis-George Tin, les victimes du pillage, pourtant, n’avaient pas rien dit. Certains ont parfois même élaboré un discours tout à fait explicite contre ces pillages, et produit des plaidoyers très précoces en faveur de la restitution. C’est au fond une revendication ancienne, largement antérieure au panafricanisme auquel on attribue parfois un rôle séminal dans ce débat – largement à tort. Certes, le leader ghanéen Kwame Krumah, grand intellectuel et père d’une pensée décoloniale, se révèlera un acteur clé de la revendication. Certes, encore, le “Panaf’”, le festival panafricain organisé à Alger en 1969, se révélera une chambre d’écho importante pour cette cause, qui viendra ensuite rebondir encore dans les allées de l’Unesco, durant toute la décennie suivante. En partie impuissantes, ces caisses de résonance ne seront pas sans conséquences: rien que pour l’Algérie, et à force de négociations entre le nouvel Etat indépendant et la France, près de 300 œuvres d’art feront le voyage retour. C’est aussi au cours du « Panaf’ » lieu d’une intense activité politique que verra le jour le Manifeste culturel panafricain.
Emmanuel MANGUELLE