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Cameroun-Editions La voix du livre : Hamid Yacin Mouchili explore une société où parler n’est plus un droit

Avec Le Prix des mots, l’écrivain camerounais Hamid Yacin Mouchili signe un roman d’anticipation à la fois sobre et percutant, où le langage cesse d’être un droit pour devenir une ressource contrôlée. À travers une fable située à Mbalmayo, l’ouvrage interroge la confiscation de la parole, la manipulation de la mémoire et les mécanismes silencieux de la domination.
Dans la ville de Mbalmayo, parler n’est plus un geste anodin. Chaque phrase s’achète, chaque expression se négocie, chaque idée possède une valeur marchande. Les habitants ont appris à mesurer leurs silences autant que leurs propos, conscients que le langage, désormais tarifé, peut coûter plus cher qu’il ne rapporte. C’est dans cet univers verrouillé que Sahada, jeune femme venue d’ailleurs, fait l’expérience d’un monde où la parole a cessé d’être un souffle pour devenir un instrument de contrôle.
Peu à peu, son regard se heurte à une organisation souterraine : l’Ordre du Silence. Cette structure opaque ne se contente pas de réglementer les mots ; elle les fait disparaître. Certains termes sont effacés, interdits, retirés de l’usage collectif, non par hasard mais par stratégie. En amputant le langage, le pouvoir redessine la pensée et réécrit l’histoire sans bruit. La disparition d’un mot devient ainsi un acte politique, aux conséquences profondes sur la conscience collective.
Au fil de son parcours, Sahada découvre un marché clandestin où les mots circulent comme des objets rares. Elle rencontre des collectionneurs, puis des résistants du verbe, qui tentent de préserver les termes menacés et d’en maintenir la trace. Cette lutte discrète trouve son cœur symbolique dans le mythique Livre des mots perdus, archive vivante de ce que le pouvoir voudrait faire oublier. Conduite jusqu’au gardien du dernier mot, l’héroïne comprend que sauver le langage implique d’affronter l’oubli et ceux qui l’organisent.
Le dénouement, marqué par la proclamation du mot « liberté », ne relève pas de l’emphase mais d’une évidence narrative. Ce terme, simple et fondamental, suffit à fissurer l’édifice de l’oppression et à restaurer la circulation de la parole. Rien n’est définitivement gagné, mais l’essentiel est rétabli : la possibilité de transmettre, de nommer, de penser.
Étudiant en comptabilité et acteur du monde entrepreneurial, Hamid Yacin Mouchili inscrit pourtant son écriture loin des abstractions techniques. Son œuvre s’ancre dans les réalités sociales, avec une attention constante portée au pouvoir des mots dans les décisions humaines, les ruptures et les transformations. Il écrit moins pour séduire que pour mettre à nu, construisant un univers littéraire tendu vers une même exigence : réconcilier l’individu avec son identité, son histoire et sa liberté d’expression.
Dans sa préface, Mme Ngolodo Claire, directrice générale de SUP DE Co, souligne avec justesse la portée intellectuelle du roman. Elle y voit une œuvre qui dépasse la fiction pour interroger ce qui fonde l’humanité : la capacité de nommer le monde. À ses yeux, la langue n’est jamais neutre ; elle constitue un territoire où se jouent la mémoire, le pouvoir et la liberté. En cela, Le Prix des mots agit comme une mise en garde adressée aux sociétés où la parole peut être surveillée, appauvrie ou confisquée.
À travers une écriture maîtrisée, nourrie de symboles et de silences signifiants, Hamid Yacin Mouchili rappelle que les mots demeurent les derniers remparts contre l’effacement. Les protéger revient à préserver l’humain lui-même. Dans un contexte où le discours se fragmente et où la pensée se fragilise, ce roman résonne comme une invitation à rester vigilants : tant qu’une voix se lève, aucun mot ne disparaît tout à fait.

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