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« Le Leurre » : un miroir sans fard de l’institution du mariage au Cameroun

Dans une salle feutrée, traversée de regards attentifs et d’interrogations silencieuses, le roman Le Leurre a été officiellement présenté au public. Signée de la plume exigeante et engagée de la Pr. Inna Owona Mfegue, cette œuvre littéraire vient élargir le champ des réflexions sur un pilier essentiel de la vie sociale : le mariage. Plus qu’un simple récit, Le Leurre interroge les fondations mêmes de cette institution dans le contexte camerounais, entre illusions collectives et pressions individuelles.

Troisième roman d’une auteure déjà forte de huit publications, dont cinq essais consacrés au droit – son domaine d’expertise –, ce nouvel ouvrage révèle une facette plus intime de sa pensée : celle où l’engagement intellectuel se fait roman, et où le droit côtoie la littérature pour mieux dévoiler la vérité d’un monde souvent dissimulé sous les vernis de la bienséance. L’histoire s’articule autour d’un couple, d’apparence ordinaire, mais dont les tourments dévoilent les tensions profondes d’une société en mutation.

À travers le personnage de René-Édouard Kome, modèle achevé de la bourgeoisie camerounaise, veuf, divorcé et haut fonctionnaire, l’auteure dresse une fresque sociale dense, marquée par les faux-semblants, les ambitions dévorantes et la quête fébrile d’un statut conforme aux injonctions collectives. Loin d’un simple parcours individuel, son histoire devient le miroir d’un système où le mariage est souvent perçu comme une obligation sociale davantage qu’un choix librement consenti.

Car Le Leurre n’est pas un roman sentimental. C’est une critique en profondeur d’un modèle de société où le mariage, censé incarner l’union et la stabilité, devient parfois l’écrin d’un mensonge soigneusement entretenu. L’ouvrage dévoile les fractures cachées de nombreux foyers : tensions silencieuses, pressions tribales, quêtes d’ascension sociale, adhésions ésotériques, manipulations affectives. Autant de réalités tapies derrière les discours officiels, où l’amour cède souvent la place au calcul, et la fidélité à la résignation.

Dans cette société patriarcale, les femmes, loin d’être des spectatrices passives, portent la charge émotionnelle et matérielle du foyer. Mais elles doivent aussi, selon les conventions, taire leurs désirs, modérer leurs ambitions, et sacrifier leur épanouissement personnel sur l’autel d’un équilibre conjugal de façade. Le Leurre donne voix à ces femmes en quête de respect, d’écoute et d’harmonie, bien loin des clichés de liberté dissolue qui leur sont parfois associés.

Plus qu’un récit, le roman devient un espace de débat : que signifie encore le mariage au Cameroun aujourd’hui ? Est-il toujours cette promesse de bonheur partagé, ou n’est-il plus qu’un rituel social vidé de sa substance ? À l’heure où l’argent semble pouvoir tout acheter, même les sentiments, l’auteure oppose une vision plus sobre, plus humaine : celle de la paix intérieure comme ultime quête. Car au-delà des conventions et des illusions, reste cette vérité nue : sans harmonie, sans respect mutuel, sans sincérité, le couple n’est qu’un décor.

En soulignant les ambiguïtés religieuses, les pesanteurs communautaires et l’influence croissante de logiques occultes dans les unions, Inna Owona Mfegue montre que le mariage est devenu un champ de tensions, où se croisent foi, pouvoir, quête identitaire et conformisme social. Le Leurre, en ce sens, n’est pas un pamphlet contre le mariage, mais un appel à son réenchantement, à travers une redéfinition des rôles, une revalorisation de l’amour authentique, et une libération des carcans étouffants.

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Roman aux multiples niveaux de lecture, Le Leurre propose une plongée dans les contradictions d’un monde où les apparences règnent, où le paraître supplante l’être, et où l’individu peine à trouver sa voie entre les normes collectives et ses aspirations profondes. Avec une plume maîtrisée, empreinte de lucidité et de compassion, l’auteure convoque le droit, la littérature et la spiritualité pour offrir une œuvre à la fois critique, poétique et résolument contemporaine.

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