La Concorde Actu

Toute l'actualité du Cameroun

LA REVANCHE DE L’AMANTE de Anne Rachel ABOYOYO A. : Immersion dans une encre décomplexifiée

Tenir La revanche de l’amante, c’est s’offrir 74 pages d’une poésie publiée par les éditions Proximité en 2025. L’auteure, Anne Rachel Aboyoyo, en est à son troisième ouvrage individuel. Les deux précédents, Senteur du crépuscule (2011) et Les graines du silence (2016) ont semblé des textes annonciateurs de ce nouveau recueil qui propose une diversité d’émotions propres, chacune, aux diverses circonstances qui les engendrent.

La plume

De toutes les émotions que procure la lecture de façon générale, celle engendrée par la qualité d’une plume est vitale ; car c’est elle qui permet au lecteur de tenir un texte sans songer à le refermer par ennui ou lassitude.

Ici, nous devons saluer l’encre décomplexée proposée par Anne Rachel Aboyoyo qui, si elle a su la défaire d’une viscosité bien souvent propre aux universitaires, l’a maintenue haute et forte de culture, et surtout ouverte sur divers horizons. Si les mots suggèrent au lecteur une lecture approfondie afin de mieux plonger dans l’univers créatif de l’auteure, les références qui les meublent rappellent qu’un livre est aussi le niveau de culture de sa plume ; c’est ainsi qu’un texte peut aisément se distinguer d’un autre et offrir en même temps la singularité de son auteur. Le poème « Chaleureuses retrouvailles » p.78-79, en est une vive expression.

L’unicité est un vent d’ardeur

Ardant entre les dents du fugace

Regarde le fugace de profil le long du fil des ans

Ouvre-toi aux entrailles du monde

Ceintes de dédales.      

Dédale est ceint des eaux nombreuses

Qui le retiennent attaché aux ténèbres des mers

A la quête de son fils. Plonge.

Nous voyageons entre les époques et les horizons par un simple coup de plume qui vient aussi rappeler les acquis glanés par l’auteure ; nous découvrons par la même occasion les sources dans lesquelles ses lectures sont puisées et ses textes inspirés. Et « Destin », à la page 73, n’est pas en reste :

Tu es Pénélope assise

Qui chante l’ourlet infini,

Cerbère géant devant la porte barricadée

D’Ulysse en course

Qui monte impétueusement

Une multitude de chevaux (…)

La pensée

Plusieurs lectures se font, mais toutes convergent vers un point unique : la réalisation de la femme. Dira-t-on au bout d’un texte aussi revanchard des libertés de la femme, que Anne Rachel Aboyoyo est féministe ? La réponse, au bout des 67 poèmes tantôt brefs tantôt étendus, est Non. L’auteure n’est pas féministe dans le sens commun qui est la reconnaissance des droits de la femme et l’égalité des genres. Elle est tout simplement Humaine. Nous noterons alors qu’aucune doctrine ne vient sanctionner son œuvre dans cette perspective.

Dans « Portrait », à la page 72, si nous prenons uniquement le premier et le dernier vers, nous obtenons un rappel d’une profondeur particulière sur la qualité de la femme, bien plus importante que sa place.

Une femme n’est pas un tigre

Une femme est une roche molle, une forteresse nomade

L’auteure offre à la femme de n’engager aucun combat sous le prétexte d’une capacité à s’y aventurer, mais plutôt d’épouser le monde dans chacune de ses évolutions afin d’arriver à l’être au lieu d’essayer de le soumettre à une certaine volonté qui à son tour se verrait soumettre par une autre.

Une femme n’est pas une bravade sur le lit de la lignée… Ce vers traduit la sourde colère qui habite l’auteure dont les divers poèmes oscillent entre désir, passion, éveil, sensibilisation, retour à soi, retour à l’humanité. C’est ainsi que nous traversons un quotient créatif important concernant le réveil de la femme dans un monde qui la soumet à diverses formes de violences.

L’auteure permet d’autres perspectives qui laissent libre cours à l’esprit du lecteur qui peut voir dans un texte comme « Alerte II » une autre porte de sortie pour préserver des émotions saines.

Vingt et une heure

L’air froid et lourd

De l’entame de septembre

Souffle sur les acacias soyeux.

Deux femmes se tiennent la main,

Rue paisible derrière le Hilton,

Signant en silence

Le pacte éternel de l’amitié

Qui dépasse à jamais la vanité.

La lune scintille en pépites d’or

Entre les hibiscus jumeaux.

Ce recueil est un hymne complet à la femme dans la plénitude de l’expression libre de ses émotions.

L’impact

Sur la scène littéraire, La revanche de l’amante apparaît comme une expression saisissante et sans complexe, libre d’orienter ses pulsions dans la direction qui lui sied en suivant simplement ses propres émotions. C’est en soi le reflet d’une écriture et d’une pensée assumées. Anne Rachel Aboyoyo marche en première ligne sur la voie de l’affirmation de la femme qui se sent libre et en droit d’avoir sur l’homme le regard qui lui convient à elle.

Avec « Confluence manquée » p.62, elle annonce :

Pressens-tu l’enterrement de ta lignée

Dans le programme de ton émasculation ?

Comme pour dire avec certitude la prophétie telle qu’elle la sait bientôt se réaliser. Et le poème de la page 62, « Entubés », vient lui aussi crier l’une des raisons de sa colère face au simulacre (bien répété à travers le recueil) dont n’a pas seulement souffert la femme, et qui cette fois rappelle aux hommes de Dieu leur responsabilité dans la déchéance des vœux :

Et le pasteur a frémi

De la candeur de tout son vomi

(…)

Et le prêtre a éternué

Bruyamment dans la nuit

Ne sont-ils pas coupables D’avoir fait diacre / L’impie et livrer l’ouaille au maillet…  Mais il y a aussi ces autres rappels que la plume de l’auteur sait porter entre tous ces élans de frustrations dus à l’inconsidération de la femme, quand elle es traitée plutôt comme une femelle ; elle urge la femme de se mettre debout et regagner elle-même sa confiance d’Humaine.

Quitte l’enfance !

Tu n’es pas née femme.

Tu aurais la liberté en saillie

Sur toutes les parcelles de ton corps.

(…)

Tu es née femelle,

Quitte la vallée pour les sommets.

(…)

Deviens l’essentiel complet accompli.

En tant qu’œuvre de Dieu elle aussi, la femme est appelée ici à retrouver qui elle est par-delà ce que les traditions et les conventions patriarcales ont fait d’elle. Marche sur la route qu’elle lui crie, comme un appel fort à vivre dans cette société-ci, devant tout le monde, sa liberté la plus simple.

L’édition

Si nous notons que des efforts considérables sont faits sur le plan physique du livre, il reste encore un certain chemin quant à l’encadrement des auteurs par leurs éditeurs.

La revanche de l’amante est un texte riche, comme mentionné au début de cette expérience de lecture ; seulement, un travail éditorial plus concentré en ferait un recueil à la hauteur des ambitions de sa plume. La licence poétique permettant à l’auteure d’aller selon l’air qui lui plaît, elle ne le protège pas des fautes de grammaire et d’orthographe qui peuvent faire perdre le goût de la lecture.

En toute chose littéraire, le confort du lecteur est essentiel. Quand il est garanti, le message, puisque tout auteur y tient est porté jusqu’aux confins de l’âme du lecteur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *