Avez-vous de la mémoire ? Cette capacité à se souvenir des événements passés, à transmettre les récits d’une époque à une autre ? La mémoire collective, quant à elle, permet d’évoquer des souvenirs communs, d’entretenir une conscience historique partagée.
La publication du rapport du volet de recherche de la Commission Mémoire France-Cameroun vient rappeler l’impérieuse nécessité de préserver cette mémoire collective. Rédigé par une équipe de 14 historiens, ce document volumineux de plus de 1 000 pages éclaire sur le rôle et l’engagement de la France dans la répression des mouvements indépendantistes au Cameroun entre 1945 et 1971. Après sa remise officielle au président Paul Biya, il sera accessible au public dès le jeudi 30 janvier, au prix de 35 euros en France et 15 000 francs CFA au Cameroun.
Grâce à l’ouverture des archives françaises, les chercheurs ont pu exploiter des sources variées : archives des armées, de la justice militaire, archives diplomatiques de Nantes, archives d’outre-mer, fonds archivistiques de l’ambassade de France au Cameroun, fonds Foccart et d’autres archives privées. Ce travail de recherche met en lumière des événements majeurs : les émeutes de septembre 1945 à Douala, les violences de mai 1955 dans le Moungo, la Sanaga Maritime, le Pays Bamiléké, ainsi qu’à Douala et Yaoundé. Il revient aussi en détail sur la répression brutale de l’UPC, la traque et l’assassinat de Ruben Um Nyobé, le massacre d’Ékitè en 1956, celui de Tombel en 1961, et bien d’autres épisodes marquants.
Toutefois, certains points restent dans l’ombre. La Commission n’a pas pu apporter d’éclaircissements sur l’incendie du marché Congo à Douala en avril 1960 ou sur les témoignages évoquant des prisonniers jetés vivants dans les chutes de la Métché à Bafoussam en septembre 1959. Si le rapport confirme l’utilisation par l’armée française de cartouches incendiaires en avril 1960, il ne valide pas explicitement l’usage du napalm. Concernant l’assassinat politique de Félix Moumié, l’implication française est confirmée, mais aucune responsabilité directe n’est retenue dans l’arrestation, le procès et l’exécution d’Ernest Ouandié.
Le rapport décrit des méthodes répressives violentes, légales et illégales, assimilables à des épisodes guerriers. Il confirme ainsi qu’il y a bien eu une guerre d’indépendance au Cameroun, contrairement à la thèse officielle française d’une simple opération de maintien de l’ordre. Cependant, les faits rassemblés ne permettent pas de qualifier ces événements de génocide.
Cette publication soulève désormais d’importantes attentes : Médiatisation des conclusions du rapport, intégration de cette histoire dans l’enseignement scolaire, vulgarisation scientifique à travers des colloques et des publications académiques
La création de la Commission Mémoire il y a deux ans avait déjà suscité des controverses. Le rapport devra être jugé à l’aune de son contenu, de sa méthodologie et des conditions de sa production. Toutefois, au Cameroun, il est difficile d’échapper à une lecture géographique et identitaire de ce rapport, certains risquant d’y voir une victimisation disproportionnée de certaines communautés par rapport à d’autres.
Mais au-delà des polémiques, ne faut-il pas saisir cette opportunité pour renforcer la mémoire collective ? Le Cameroun est encore en quête de faits déclencheurs ou de mythes fondateurs de son identité nationale. Ce rapport exerce ainsi une pression supplémentaire sur le projet d’Histoire générale du Cameroun, porté par le Ministère des Arts et de la Culture. Malgré la disparition récente de son pionnier, la Société camerounaise d’histoire se prépare à son premier congrès post-Daniel Abwa. Elle devra jouer un rôle clé dans la consolidation de cette entreprise mémorielle et scientifique, essentielle à la construction d’une conscience nationale éclairée.